Ce soir-là, le 27 mars 2025, la salle du 4e Art vibrait d’une intensité particulière. Comme chaque année, à l’occasion de la Journée Mondiale du Théâtre, le Théâtre National Tunisien a offert au public une célébration dense, émouvante et profondément engagée. L’événement, placé sous l’égide du ministère des Affaires culturelles, s’est déroulé en présence de la ministre Amina Srarfi, mais aussi de nombreux artistes, penseurs, journalistes et amoureux de la scène venus rendre hommage à cet art aussi ancien que nécessaire.
Il ne s’agissait point d’une simple cérémonie, mais d’un moment de partage où le théâtre tunisien, en fidélité à son histoire, a non seulement réaffirmé ce qu’il est, mais ce qu’il pourrait être si les conditions étaient réunies : un espace de résistance, d’expression libre et de lien humain dans un monde qui en a cruellement besoin. Ce moment de fête coïncidant avec la clôture de la 3e édition de l’événement Tunis, Théâtres du Monde qui, cette année encore, a ouvert un dialogue lucide, ému et passionné, sur la place et le rôle du théâtre au milieu des secousses nôtre temps.
Sur scène, les propos du directeur du TNT, Moez Mrabet, ont résonné tout particulièrement lorsqu’il a parlé d’un théâtre né de la contestation, du creuset des luttes et souffrances humaines, qui, aujourd’hui plus que jamais, doit rester ce lieu qui ose dire, qui ose troubler, qui ose se souvenir. Un théâtre qui ne fuit pas, mais qui est capable de regarder en face la noirceur du monde et livre de façon altier un message clair : la scène est un terrain d’engagement, une réponse artistique à la barbarie, une force tranquille capable d’entretenir la mémoire collective.
Ce qui est d’actualité, au contraire, n’est pas tenu à distance, bien au contraire. Le TNT a réaffirmé son soutien indéfectible au peuple palestinien, dénonçant les crimes de l’occupation et appelant à l’établissement d’un État libre et indépendant dont Al-Qods serait la capitale. Pas de posture, mais un cri sincère, une conviction d’un théâtre qui a fait le choix de ne pas s’enfermer dans l’indifférence.
Il y a eu aussi une sourde émotion lors de la lecture du message international de la Journée Mondiale du Théâtre, rédigé cette année par le metteur en scène grec Theodoros Terzopoulos, traduit en arabe par le journaliste et critique Lotfi Larbi Snoussi, et admirablement porté par la voix de Noureddine Ouerghi. Dans ce texte, le théâtre devait se réinventer face à un monde qui se digitalise à grande vitesse où les relations humaines se désincarnent, et où les crises écologiques redessinent nos repères. Un appel à faire du théâtre l’acte de conscience d’une lente respiration dans un monde à vive allure.
Mais au-delà des mots, il y a eu les gestes, les visages, les souvenirs. Le TNT, avec l’OTDAV et le ministère, s’est attaché à rendre hommage aux figures emblématiques du théâtre tunisien : Nejia Ouerghi, Halima Daoud, Abdelaziz Meherzi et Raouf Ben Yaghlane. Des artistes qui ont incarné des scènes, porté des histoires intenses, et marqué des générations entières.
La soirée a continué avec « Malédiction » (Ettabâa), dernière œuvre de Taoufik Jebali. Un théâtre de l’intime et du politique, mêlant de satire, de poésie et d’interrogation sur l’illusion du pouvoir. Et pour clore les festivités, une parenthèse musicale donnée par la voix envoûtante d’Ishraq Matar, dont le piano est assurée par Ilyes Blagui. Une manière douce, élégante de clore cette nuit qui a pris toutes les tournures de l’envoûtement et de la beauté théâtrale.
Ce que cette soirée a particulièrement mis en lumière, c’est, avant tout, que le théâtre est un art profondément humain, qui nous relie aux autres, à notre histoire, à nos luttes. Un art qui ne cède pas à la peur, qui ne cède pas à l’oubli. Tant qu’il y aura des scènes pour accueillir les voix du monde, le théâtre tunisien continuera de tenir debout, libre, lucide et infiniment vivant.
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